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L'Edito
Avril - Mai - Juin 2003
D'autres photos de votre serviteur
Les anciens éditos pour les nostalgiques...
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Bonjour à tous !
Comment
sont les mathématiques d'aujourd'hui ??
Ah la la, si je commence l'édito
comme cela, vous vous dîtes déjà que ce n'est pas encore
aujourd'hui que l'édito sera plus court :o). Et je vais en faire suer
pas mal, mais bon après tout c'est moi le chef ici ! :o) Et non non,
loin de moi l'ambition d'écrire tout un roman sur le sujet, je ne m'y
connais pas assez... d'ailleurs je vous l'avoue, j'aimerais bien voir sur
le web quelques éditos dans le genre du mien mais balancés par
des sacrés pontes !
<pub subliminale> Et dans le genre, mon admiration la plus enthousiaste
va au bloc note de Didier Nordon dans la revue Pour la Science, si vous n'avez
jamais eu l'occasion d'y jeter un coup d'oeil, ça vaut le détour
je vous assure :o) </pub subliminale>
Non moi, comme je n'ai pas son talent caustique, je reste profil bas et je
me contente de deux trois remarques à la volée, naïves
mais sincères, du haut de mes 23 ans et de ma frustration de non-mathématicien
! Eh oui, ça m'amuse même ! :o)
Je vous parlais des mathématiques, c'est vrai... Ma vision est peut-être
erronée, mais je n'en finis pas de découvrir un monde de paradoxes.
Etonnante perspective quand on y pense que ce gigantesque chantier des mathématiques,
dont la vision extérieure ne révèle que la partie émergée
de l'iceberg, les connaissances scolaires, mais dont le foisonnement des revues
et l'abondance des articles noie complètement l'amateur même
un peu éclairé. Un gigantesque chantier pourtant miraculeusement
ordonné puisque dans chaque pays, dans chaque ville, une petite équipe
se charge de défricher un petit bout de chemin bien défini,
comme si chacun voulait sucer la sève de sa branche.
Etonnant foisonnement dont on a l'impression qu'il progresse aujourd'hui à
une vitesse jamais atteinte, alors que paradoxalement même de nombreux
chercheurs en maths ne sauraient pas dire l'avancée la plus significative
de ces dernières années. Il est vrai que comme de tous temps,
quelques têtes seulement dans le monde cherchent et sont capables, elles,
de trouver de nouveaux chemins. Remarquez, talent et innovation ne sont pas
irréductiblement liés. De nombreux mathématiciens parmi
les plus illustres de l'histoire n'ont fait principalement que défricher,
mais ils l'ont fait si bien et avec tant de talent et d'élégance...
citons surtout le grand Euler dans ce cas de figure. (Je pourrais me prendre
un monceau de critiques en écrivant cela, mais tant pis, ce le serait
par des gens qui ne connaissent pas mon admiration pour ce grand homme, de
toutes les manières !).
D'ailleurs, on a souvent aujourd'hui l'impression que le monde très
formalisé et communautaire de la recherche ne met plus vraiment en
avant de grand esprit, que l'Euler d'aujourd'hui n'est pas identifiable. Regardez
même la notoriété plus que relative des médaillés
fields, la plus haute distinction des mathématiques... Je ne peux pas
croire qu'il n'y ait pas d'esprit aussi brillant et dominateur dans ces cinquantes
dernières années, mais les idées vont trop vite à
circuler, la traçabilité devient difficile et la taille de la
montagne mathématique cache son sommet dans les nuages. Et paradoxalement
alors que tout se sait et tout a les moyens de se savoir aujourd'hui, contrairement
à une époque distante de seulement quelques siècles où
l'éducation, la lecture, la lenteur et la difficulté de la communication
bridaient potentiellement l'avancée des idées, le monde mathématique
s'enferme dans un hermétisme inquiétant au bouillonnement incessant,
mais dont de moins en moins de gouttes ne débordent de la marmite vers
le public. Les grands esprits ne font alors que deux lignes dans la dernière
édition du Monde au moment de leur décès...
Les mathématiques ont-elles avancé trop vite ? Je suppose que
l'état actuel de notre civilisation pousse aujourd'hui à accélérer
toute chose, mais quand on pense que dans l'histoire, Newton et Leibniz ont
prétendu avoir inventé en même temps le calcul différentiel
alors que leurs écrits ont plusieurs années de différence....
On pourrait alors suggérer que la science n'est aujourd'hui qu'un gigantesque
forum où tout le monde parle de son idée de la veille au soir
! Même pas... Les idées circulant sur l'internet ne sont pas
celles qui sont prises le plus au sérieux, en témoigne d'ailleurs
la pauvreté - relative - des forums mathématiques (tout au moins
francophones). Non la vraie révélation dans le monde de la recherche
c'est la revue ! Ce n'est plus Euler écrivant autoritairement ses traités
immédiatement pris comme référence dans le monde entier
! Non, ça c'est une idée qui appartient au passé, aux
siècles précédents disons. Pourtant aujourd'hui, le circuit
des revues est encore étonnamment long - un article n'est publié
par une revue spécialisée en moyenne qu'un an après son
envoi, donc parfois plus d'un an et demi à deux ans après l'idée
originelle. Ajoutons en outre qu'à l'instar de Gauss, et principalement
en mathématiques (et en physique théorique dont la conception
moderne se rapproche de plus en plus de la complexité mathématique,
avec la théorie des supercordes par exemple), beaucoup refusent de
publier avant que les choses ne soient sûres... Encore heureux vu l'abondance
des articles ! Ainsi, le mathématicien aura toujours une petite tendance
assumée de solitude... :o)
Cela
dit les grandes idées ne peuvent se tenir sagement bien longtemps et
dès qu'une conjecture célèbre est attaquée de
front par un chercheur, son papier circule assez rapidement (et ses fautes
sont alors détectées relativement rapidement aussi :o) ). Etonnament,
il semble là aussi qu'un certain paradoxe fasse son apparition : alors
que la communauté mathématique n'a jamais été
aussi nombreuse et que la place au sein de la théorie mathématique
de conjectures célèbres (des théorèmes considérés
comme probables mais non démontrés), étudiées
depuis plusieurs dizaines d'années, n'a jamais été aussi
bien définie, on dirait qu'un certain "stack overflow" guette
la communauté, une sorte de limite de taille de traitement. En témoigne
le récent papier consacré à la célèbre
conjecture de Poincarré qui date d'un siècle, et dont la mise
sur le marché public d'une prétendue preuve a presque donné
l'impression de décourager la communauté internationale ! Encore
quelques centaines de pages à se coltiner sans jamais vraiment être
sûr que l'on ne passera pas à côté d'un petit trou...
On a lu un peu partout des "il sera difficile de trouver des failles
dans une telle démonstration", j'ai trouvé cela assez ahurissant
! Et comme pour sauver la mise, au moins médiatiquement, des magnifiques
"cette approche ouvre des perspectives tout à fait intéressantes
!" :o) Ceci dit, moi je les comprends, corriger la copie d'un autre,
surtout quand il est meilleur que vous, ça n'a rien de drôle
:o). Allez je suis peut-être un peu mauvaise langue, mais il est vrai
que même si l'article est accepté, il est loin le temps d'Euler
où il suffisait de calculer les premières décimales d'une
série pour se persuader qu'elle convergeait bien vers Pi ! Désormais,
on ne sera jamais vraiment sûr, au moins pendant un bon bout de temps,
que la preuve est valable ! Drôle de situation pour une science qui
vit et se construit surtout sur ses certitudes :o)
En outre, il faut dire aussi que les preuves courant sur plusieurs articles
(et donc plusieurs centaines de pages) se multiplient et donnent la désagréable
impression que les chemins qui courent entre deux propositions mathématiques
n'ont plus rien de naturel. Très désagréable en effet
car on sent bien que ce qui fait la beauté et la force des mathématiques
c'est aussi un certain esthétisme, une certaine élégance
des théories et que si cela devient aussi compliqué et tordu,
non seulement dame nature semblera bien loin mais en plus il n'y aura plus
grand monde pour s'extasier... Bon d'accord je ne suis pas mathématicien,
il y a plein de choses très belles qui me semblent à moi très
très difficiles mais allez, je prends des risques, je garde ce sentiment
tout de même...
Il faudrait presque que tout ne soit pas évident, pour qu'il y ait
encore raison de s'extasier, mais que la difficulté n'atteigne pas
des niveaux que quelque soit le niveau d'éducation, le grand public
n'atteindra jamais ! (je vous rappelle à ce propos que les cours de
mathématiques de l'école Polytechnique de la fin du XIXe siècle
ne sont pas très différents en niveau et en contenu de
ce que l'on apprend en classe préparatoire de nos jours, à quelques
exceptions algébristes près, et ce malgré les formidables
avancées du XXe siècle). Mais si dame nature a vraiment créé
les mathématiques, que ce n'est pas un produit de notre capacité
d'abstraction, alors notre niveau est très relatif et peut-être
sommes-nous très très loin du compte - voire c'est impossible
à comprendre totalement. D'ailleurs, quelle est la limite d'abstraction
d'un cerveau qui a conscience de savoir ? Tant de questions :o)....
Encore un point étonnant, l'apparition des conjectures justement. Imaginez
la communauté des mathématiciens faisant grandir le cercle de
sa connaissance de tous les côtés tel un soleil en croissance
régulière, et là, tout à coup, inattendu mais
infranchissable, un poteau au milieu dessine un cône d'ombre sur le
chemin tracé de la lumière.... Damned tout allait si bien !
Et là ça se complique car les mathématiciens ne sont
plus capables d'aller à la même vitesse sur des niveaux proches,
ils avancent dans un domaine, buttent ailleurs sur un petit point précis
(dont ils découvrent la profondeur avec les années, mais ça
n'y change rien, ils ne trouvent pas...). Donc que font-ils ? Ben ils commencent
à envisager les deux cas, tout naturellement... Si la conjecture est
vraie alors v'la ma grosse théorie. Si c'est faux, aïe ben on
sera bien embêtés... Si c'est indécidable.. euh... Gödel,
t'es vraiment pas sympa ! On voit bien que plus le nombre de conjectures apparaît
plus ça devient difficile de s'y retrouver, on ne sait plus vraiment
ce qui est vrai de ce qui dépend de petits points "probables"
selon la communauté internationale, mais qui en attendant leur résiste
encore farouchement ! Si la célèbre hypothèse de Riemann
est encore un camp retranché dans quelques dizaines d'années,
gageons que cela n'aura pas empêché un grand nombre d'amateurs
de la tenir pour vraie tant ce serait une catastrophe qu'elle ne le soit pas
!
Dernier point un peu étonnant (enfin parmi ceux qui me viennent à
l'esprit !), tout ce que l'on ne sait pas ! Il n'y a probablement rien de
plus fascinant dans l'histoire des mathématiques que la petite phrase
de Fermat à propos de son grand théorème "j'ai trouvé
une merveilleuse démonstration de ce résultat mais elle ne tient
pas dans cette marge". Ah merci monsieur Fermat, il y en a qui ont passé
leur vie à croire qu'il existait une démonstration simple de
votre théorème, certains y croient encore trois siècles
après et 7 ans après l'arrivée d'une preuve complète
(mais ô combien complexe) ! Et pourquoi pas d'ailleurs ? Comme je l'ai
dit tout à l'heure, une des force des mathématiques (enfin selon
moi), c'est aussi sa beauté et son élégance. Si il faut
réellement trois cent pages pour démontrer une équation
que même un mec de troisième peut comprendre, gageons que ce
n'est peut-être pas tant que cela une victoire pour les mathématiques
et leur rapport au public... Un nouveau domaine se dessine alors, trouver
des preuves plus simples pour rendre son naturel aux mathématiques,
trouver un chemin plus court tout simplement :o). Dans le domaine il y a de
quoi faire, la transcendance de Pi tout simplement, la preuve actuelle étant
assez... disons... chiante. L'homme se bat contre la complexité, il
n'aime guère cela finalement !
Mais à l'instar de Fermat, que ne sait-on pas et qui aurait pu gagner un
temps précieux à toute l'humanité ? Imaginez un mathématicien
actuel remontant au moyen âge, ce serait extraordinaire ! Imaginez tous
les livres de grands esprits, perdus au cours de batailles, incendiés,
déchirés, non achevés etc... Que ne nous apprendraient-ils
pas ? Ou comme on le murmure parfois, peut-être que certaines société
de cryptographie en savent bien plus sur les mathématiques des nombres
premiers, qui leur servent à proposer des codes inviolables, qu'elles
ne veulent bien le dire... Et pourtant la progressivité quasi-mécanique
des mathématiques nous sauve. Car si en biologie ou en histoire on
ne saura jamais tout des dinosaures par manque de caméra vidéo
à l'époque, on est certain de savoir tout aujourd'hui de ce
que connaissaient déjà nos amis les grecs de l'antiquité.
Et à moins que les livres et les supports d'information disparaissent,
ce qui semble peu probable, tout ce qui est su aujourd'hui est acquis pour
plus tard (ça n'a pas toujours été le cas dans l'histoire,
la période du moyen-âge en occident par exemple a marqué
une certaine régression dans plusieurs domaines des sciences pures
comme les mathématiques). A ce propos, un ami me parlait récemment
d'un mathématicien de la première moitié du XXe siècle
(un certain Doeblin ?) dont on a retrouvé les écrits et qui
annonçait parait-il plusieurs découvertes majeures des vingt-cinq
années suivantes, soigneusement gardées pour ne pas tomber entre
les mains des nazis... Si cela est vrai, il est finalement assez rassurant
de constater que ces théorèmes n'auront pas résisté
plus longtemps qu'une génération, mais par contre il est assez
triste que par manque de "communication", ces théorèmes
ne portent même pas le nom de ce mathématicien ! Encore vingt
ans de retard, c'est certain, mais au final rien n'a été perdu
!
Inexorablement les mathématiques avancent, peut-être même
s'autodétruiront-elles un jour par trop de complexité et par
la limite du cerveau humain. Mais en attendant, ce qui fait la beauté
suprême de Pi, c'est encore cette simplicité des formules, cette
apparente explication très simple par le cercle, et en même temps
cette incapacité patente de la communauté des mathématiciens
à pouvoir démontrer proprement une propriété simple
de normalité par exemple (les chiffres et les nombres sont en proportions
égales dans les décimales, 0,1, 2, ..., 9 sont présents
1 fois sur 10, et 10,11, 12, ..., 99 sont présents 1 fois sur 100 et
ainsi de suite...). C'est le genre de problème qui ne peut que motiver
toute la communauté, des amateurs qui espèrent avoir une petite
idée tant l'énoncé est simple aux plus grands mathématiciens
qui ne savent pas trop comment s'y attaquer ! Espérons que si un jour
la démonstration est trouvée, elle révélera encore
plus la profondeur de la constante et pour le plaisir, espérons qu'elle
ne sera pas le résultat de 700 pages d'algèbre à vous
arracher les cheveux. Ce serait presque dommage :o)
Boris
A bientôt pour de prochaines
aventures au pays de Pi le merveilleux (environ tous les trois mois).
Salut !
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